Quelques jours après la rentrée des classes 1988, Corinne était très ennuyée par une rédaction qu'elle avait à rédiger. Je lui proposais donc de raconter, chacun à notre façon, une de nos balades de l'été. Voici ma version illustrée des diapositives que j'ai fait convertir en numériques.
Le canyon du Formiga est situé en Espagne dans la sierra de Guara. Malgré sa petite taille, sa beauté est comparable à celle des autres grands canyons, son parcours offre une merveilleuse randonnée.
Au début de celle-ci, nous suivons un chemin de terre auprès duquel quelques arbres dispensent leur ombre bienfaitrice. En prenant de l’altitude, le paysage se transforme, les arbres laissent la place à une végétation plus réduite, l’ombre a disparue, la chaleur devient insupportable, les branches des arbustes nous fouettent le visage, les épines nous écorchent les jambes, des cailloux roulent sous nos pieds.
La lavande le thym et le romarin s’unissent pour nous offrir un parfum suave et tenace. De temps en temps, une fleur égaye le paysage de ses couleurs vives. Surprenant nos pas, quelques insectes fuient notre approche dans un bruissement d’ailes caractéristique. Nous sommes en plein maquis méditerranéen, à quelques kilomètres à peine des Pyrénées. Les falaises du canyon se rapprochent.
Les ocres se mêlent aux rouges et les gris se fondent aux blancs. Certaines parties sont entièrement lissées par les eaux de ruissellement, d’autres au contraire sont percées d’une multitude de cavités où nichent les grands vautours fauves qui nous survolent depuis le départ. Certaines parois altérées par l’érosion et parcourues de longues fissures fourniraient certainement de bons motifs d’escalade à des grimpeurs aguerris.
Soudain, alors que nous accédons au flanc de la falaise grâce à une « faja » (sorte de corniche naturelle taillée dans la roche par l’érosion), nous apercevons le porche d’une grotte, Nous nous approchons, il s’agit d’un immense abri sous roche qui devait servir de refuge aux moutons et aux bergers car ces derniers avaient cerné ses abords de murettes de pierres sèches, afin d’éviter que leurs bêtes ne s’abîment au fond du canyon.
Cette plate forme fraîche et ombragée nous paraît bien accueillante, mais nous devons reprendre la progression sur la faja assez vertigineuse par son étroitesse et son sol déversé vers le vide. Plus loin une sente descendante va nous permettre de rejoindre le lit du rio. Un court ressaut l’interrompt, nous effectuons un rappel. Ceci consiste à descendre d’un point à un autre à l’aide d’une corde.
Nous voilà au bord du rio. Nous remplaçons nos jeans qui nous ont protégé des épines, par des short et les plaçons dans des sacs étanches à l’intérieur de nos sacs à dos. Nous conservons un tee-shirt et nos chaussures de tennis afin de protéger nos pieds et éviter les dangereuses glissades.
L’eau couleur émeraude court entre les rives de calcaire ocre, les tourbillons nous masquent le fond. Le premier bain est saisissant, heureusement nous avons encore pied et cela me rassure.
Nous quittons cette première vasque en grimpant sur un petit bloc du haut duquel par un saut nous nous retrouvons dans une seconde plus profonde encore. Et subitement alors que notre immersion est complète et qu’il nous est nécessaire de nager, notre appréhension a disparue comme emportée au fil de l’eau.
Les passages aquatiques alternent agréablement avec les chaos rocheux, ce qui nous permet de nous réchauffer un peu.
Tiens cette pierre a un aspect bizarre, je m’avance, il s’agit d’une souche d’arbre que l’eau du rio chargée de calcaire a complètement pétrifiée.
Plus loin une cascade d’une dizaine de mètres de haut s’oppose à notre progression, un nouveau rappel permet de franchir l’obstacle. Cette descente sous la trombe m’impressionne, le bruit de la chute est assourdissant.
La réception s’effectue dans l’eau, entre deux parois écartées d’un mètre à peine, il fait très sombre, le froid semble plus vif. La nage dans ce ténébreux défilé dont nous n’avons idée de la profondeur serait angoissante, si nous n’apercevions quelques dizaines de mètres plus loin, la rassurante lumière du soleil sur les rochers blancs.
Encore quelques vasques où nous croisons la nage d’un groupe de poissons, et nous arrivons à un petit pont qui marque la fin de la partie aquatique. Nous reprenons le chemin et j’en profite pour cueillir un petit bouquet de lavande.
Cet étroit contact avec la nature m'a enthousiasmé. Les plus belles images que j’ai fixées ne le sont certainement pas sur la pellicule mais sûrement dans ma tête, où, avec le temps elles deviendront plus belles encore. Au terme de cette journée d’été si bien remplie, au plus profond de moi, s’est enraciné une idée, revenir.
Marc été 1988